LUTTE ASCÉTIQUE

1. Continuité et nouveauté. 2. Terminologie. 3. Caractéristiques de la lutte chrétienne. 4. Les fronts de la lutte. 5. Le manque de lutte : la tiédeur. 6. Tactique et ton de la lutte.

introduction
1. Continuité et nouveauté.

2. Terminologie.

3. Caractéristiques de la lutte chrétienne.

4. Les fronts de la lutte.

5. Le manque de lutte : la tiédeur.

6. Tactique et ton de la lutte.

Saint Josémaria a eu une profonde conscience de la primauté de la grâce dans le processus de sanctification et, en même temps, de la nécessité d'une libre coopération humaine (cf. AD 23). Il rappelle que « notre sainteté personnelle est un don de Dieu. Mais l'homme ne peut demeurer passif » (QCP 176). « On arrive à la sainteté avec l'aide de l'Esprit Saint (...), et une lutte ascétique constante » (F 429). Seul celui qui s'ouvre librement à Son action reçoit la grâce du Paraclet, et cela implique un effort, car le cœur humain s'est retiré de Dieu à cause du péché. Par conséquent, saint Josémaria « met fortement l'accent sur ce caractère de lutte de l'existence chrétienne, qui exige une conversion continue et une correspondance toujours renouvelée à la vocation » (SCHEFFCZYK, 2002, p. 72).

La question n'est pas seulement le sujet de l'homélie La lutte intérieure (QCP 73-82) ou des chapitres qu'il lui consacre dans d'autres ouvrages, comme « Lutte intérieure » (C 707-733) ; « Lutte » (S 125-180) ; et « Lutte » (F 58-157). « Presque toute la prédication, orale et écrite, de Josémaria Escrivá de Balaguer parle de lutte : lutte dure et constante, lutte individuelle et concrète » (URBANO, 1995, p. 74). Le thème prend une vibration particulière à partir des années soixante dès lors qu'il commence à s'estomper dans la littérature théologique et dans la pastorale, sous l'influence de la culture du bien-être et des confusions de l'après-concile.

1. Continuité et nouveauté

La prédication de saint Josémaria sur la lutte chrétienne fait écho à l'Écriture Sainte qui, du premier au dernier de ses livres, parle d'un combat contre le mal (cf. Gn 3, 15 ; Ap 12-17). Les références bibliques sont constantes. Par exemple, il cite plusieurs fois le livre de Job : « Militia est vita hominis super terram » (Jb 7, 1 ; cf. C 306 ; AD 117) ; il rappelle l'avertissement de Jésus : « Mais elle est étroite, la porte, il est resserré, le chemin qui conduit à la Vie ! » (Mt 7, 14 ; cf. AD 129) ; il commente l'enseignement paulinien : « Armons-nous du bouclier de la foi, du casque du salut et de l'épée de l'esprit, c'est-à-dire de la Parole de Dieu. (Cf. Ep 6, 11 et s.) » (Entretiens 123).

Sa prédication reflète également la Tradition (cf. par exemple, AD 129). En général, il recommande de lire les maîtres de la vie chrétienne, des Collations de Cassien à l'Imitation du Christ et jusqu'aux auteurs du Siècle d'Or espagnol, ou au Combattimento spirituale de Lorenzo Scupoli. Une grande partie de cette tradition se trouve sous l'influence des spiritualités religieuses, tandis que saint Josémaria prêche un esprit laïque et séculier. En ce sens, il y a à la fois continuité et nouveauté dans son enseignement. Il accueille l'immense patrimoine de la Tradition, non pour adapter les spiritualités religieuses à la sanctification au milieu du monde, mais pour montrer que de nombreux éléments de l'esprit de lutte chrétien - qui, au fil du temps, s'étaient matérialisés et fondamentalement préservés dans la vie monastique et plus tard la vie religieuse - sont typiques de tout chrétien ordinaire. En même temps, il fait abstraction d'attitudes étroitement liées à la vie religieuse et exclut ainsi, par exemple, la pratique de mortifications qui rendraient difficile l'accomplissement des devoirs professionnels, familiaux et sociaux. Avec cela, il ne prêche pas un ascétisme mitigé, mais une lutte héroïque dans les tâches quotidiennes d'un chrétien ordinaire.

Un trait marquant de sa prédication sur ce sujet, indissociable du précédent, est l'esprit de filiation divine. Il présente le combat chrétien comme un combat d'amour filial : une actualisation continue de l'amour d'un enfant de Dieu qui, se sachant « un autre Christ, le Christ lui-même » (QCP 96), veut accomplir la Volonté de Dieu son Père même si cela lui coûte, humblement confiant dans la puissance de sa grâce, avec laquelle il se sait capable de vaincre toutes les batailles (cf. AD 213). Il prend en compte, avec réalisme, les obstacles qui se présentent sur le chemin de la sainteté au milieu du monde et la nécessité de se battre avec acharnement pour les surmonter, mais le sens de la filiation divine imprègne toute sa prédication d'un optimisme serein.

2. Terminologie

À côté de « lutte chrétienne » et de « lutte des enfants de Dieu », il utilise les expressions traditionnelles de « lutte intérieure » et de « lutte ascétique », teintées des traits caractéristiques de sa prédication.

Quand il parle de lutte intérieure (cf. C 433, C 545 ; F 223, F 445, F 735 ; QCP 65, QCP 75 ; AD 36, AD 211, AD 232, AD 245) il veut dire que le champ de bataille est l'intérieur de la personne. Il ne s'agit pas d'un combat contre les autres mais plutôt d'une « lutte personnelle contre soi-même, accompagnée de l'effort, sans cesse renouvelé, pour aimer Dieu davantage, pour déraciner l'égoïsme, pour servir tous les hommes » (QCP 74). Mais le fait qu'elle soit intérieure ne signifie pas qu'elle manque de manifestations externes. « Loin de nous éloigner de nos occupations temporelles, la lutte intérieure nous pousse à toujours mieux les mener à terme ! » (F735).Intérieure n'équivaut pas non plus à individuelle, car la santé ou la maladie d'un membre du Corps mystique du Christ a toujours des répercussions sur les autres : « si quelqu'un ne lutte pas, il trahit Jésus-Christ et, avec Lui, tout son Corps Mystique, qui est l'Eglise. » (QCP 74).

Il parle aussi de lutte ascétique (cf. S 259 ​​ ; F 169, F 429 ; Entretiens 67, Entretiens 99 ; QCP 73 ; Chemin de Croix, 3ème Station), comme d'un exercice, d'un « sport surnaturel » (QCP 77), mais sans entrer dans la distinction entre « ascétique » et « mystique » (cf. AD 308), parce qu'il comprend que la lutte chrétienne est un acte d'amour qui unit de plus en plus à Dieu.

3. Caractéristiques de la lutte chrétienne

a) Lutte des enfants de Dieu pour la sainteté. La fin de la lutte chrétienne est la sainteté (cf. S 158 ; F 925). Puisque la sainteté est la « plénitude de la filiation divine » (Lettre 2-II-1945, n. 8 : AGP, série A.3, 92-3-1), le chrétien doit s'efforcer d'être un bon enfant de Dieu (cf. QCP 66), pour vivre la vie de Jésus-Christ (cf. F 397). Sa lutte vise « l'identification avec le Christ » (QCP 58), ce qui implique de « lutter pour le Christ » (QCP 106), « afin que le Seigneur agisse en nous et par nous » (AD 210) : « coracheter avec Lui » (AD 49). D'où l'aspiration : « Seigneur ! Que je me décide à arracher, par la pénitence, ce pauvre masque que m'ont fait mes misères... Et alors, seulement alors, (...) ma vie reproduira fidèlement les traits de ta vie. Chaque jour, nous Te ressemblerons davantage » (Chemin de Croix, 6ème Station). Le « sens de la filiation divine » (F 987), que saint Josémaria conseille de cultiver, aide à comprendre que cette lutte d'enfant de Dieu « ne doit pas être faite de tristes renoncements, d’obscures résignations ou de privations de joie : elle est la réaction de l’amoureux qui, au cœur du travail et du repos, au milieu des joies ou des souffrances, dirige sa pensée vers la personne aimée et affronte pour elle, de bon cœur, les différents problèmes » (AD 219).

b) Lutte par amour. La principale caractéristique de la lutte chrétienne dans l'enseignement de saint Josémaria est sa relation avec l'amour de Dieu. Il parle toujours de lutte par amour : « Voilà notre destinée sur la terre : lutter par amour jusqu'au dernier instant. Deo gratias ! » (Notes de la prédication, 1er janvier 1972 : AVP, III p. 639). Lutter par amour, c'est plus qu'ajouter un motif d'amour à la lutte. Pour saint Josémaria, lutter c'est aimer : « lutte est synonyme d'Amour » (S 158). La sainteté, au sens moral, ne vient pas après la lutte mais « est dans la lutte » (F 312), car la sainteté est « la plénitude de la charité » (S 739). Au sens strict, la lutte et l'amour ne se confondent pas, mais dans ce monde on ne peut pas aimer Dieu sans lutter. La lutte chrétienne est une qualité de charité dans la vie présente, car tout acte d'amour pour Dieu exige de vaincre la résistance d'un amour-propre désordonné. Par conséquent, la vie chrétienne n'exige pas seulement une lutte, elle est lutte.

c) Lutte positive contre le mal. La lutte chrétienne est un combat contre le mal moral - le péché - et contre ce qui incline au péché. Également contre le mal physique - de la douleur aux injustices, conséquences du péché - mais d'une autre manière, parce qu'il peut être accepté par amour et devenir un moyen de sanctification, alors que le péché ne le peut pas. Mais celui qui ne ressentirait pas « l'urgence que nous devons mettre à répondre aux besoins des autres et à tenter de remédier aux injustices » (QCP 98) ne se sanctifierait pas.

Que la lutte soit « contre le mal » n'implique pas une attitude négative. « La lutte ascétique n’a rien de négatif, ni d’odieux donc. C’est une affirmation joyeuse, un sport ! » (F 169). Le mal est la privation du bien ; et la lutte contre le mal, affirmation positive du bien. La lutte chrétienne consiste « plus qu'à éliminer les défauts, à acquérir des vertus » (Lettre 8-VIII-1956, n. 40 : AGP série A.3 94-1-2). Par rapport aux autres et au mal dans le monde, elle consiste à « noyer le mal dans une abondance de bien » (S 864 ; cf. Rm 12, 21).

Jésus-Christ a vaincu le mal en donnant avec amour sa vie sur la Croix ; le combat du chrétien contre le mal n'est rien d'autre qu'embrasser la Croix du Christ par amour. La lutte elle-même a donc une valeur corédemptrice.

d) Lutte constante. « Nous avons besoin de lutter avec constance » (AD 13) car « nous aurons toujours des passions qui nous attirent vers le bas » (QCP 75) et aussi parce que « l’ennemi de Dieu et de l’homme, Satan, ne s’avoue pas vaincu, ne se repose pas » (AD 303). Il faut veiller. « Souvenez-vous que, cum dormirent homines, tandis que les hommes s'étaient assoupis, surgit le semeur d'ivraie » (QCP 147 ; cf. Mt 13, 25). Il faut mener les combats quotidiens en considérant que « toute bataille peut être la dernière de votre vie, et il serait inutile d'avoir gagné les précédentes si nous perdions la dernière. Le sort de la guerre se décide toujours dans la dernière bataille » (Notes de la prédication, Cronica, IV-1972, p. 58 s. : AGP, Bibliothèque, P01).

e) Essence de la lutte. La lutte chrétienne est un esprit de mortification et de pénitence qui doit éclairer la vie d'un enfant de Dieu et se traduire en œuvres. La mortification est un combat contre le mauvais penchant ; la pénitence est repentance du péché et conversion à Dieu comme but ultime. Saint Josémaria distingue les deux termes : « Que la pénitence a peu de prix, sans une constante mortification ! » (C 223). Cependant, chacune contient une référence à l'autre, de sorte qu'elles ne peuvent être comprises qu'ensemble. La lutte chrétienne est une mort à ce qui sépare de Dieu pour vivre la vie même du Christ. C'est pourquoi il les mentionne parfois unies, comme dans le texte suivant représentatif de son enseignement : « Nous devons faire nôtres la vie et la mort du Christ. Mourir par la mortification et par la pénitence, pour que vive en nous le Christ, par l'Amour. Et suivre alors les pas du Christ, soucieux de coracheter toutes les âmes. Donner sa vie pour les autres. C'est la seule façon que nous ayons de vivre la vie de Jésus-Christ et de ne faire qu'un avec Lui » (Chemin de Croix, 14ème Station). En d'autres occasions, il ne mentionne qu'un seul des termes pour désigner les deux (cf. F 518, F 784 ; AD 134). Conformément à son esprit d'enfants de Dieu qui cherchent la sanctification dans la vie ordinaire, il conseille la pratique des petites mortifications et pénitences (cf. AD 135-136), surtout dans l'accomplissement des devoirs quotidiens (cf. AD 138).

4. Les fronts de la lutte

a) Lutte contre les tentations. Saint Josémaria parle des tentations comme des occasions de vaincre le mal, avec la grâce de Dieu, et de grandir en vertu, surtout en humilité : « Merci Seigneur ! Car si tu permets la tentation, tu nous donnes aussi la beauté et la force de ta grâce, pour que nous soyons vainqueurs ! Merci, Seigneur, pour les tentations que tu permets afin de nous rendre plus humbles ! » (F 313). « Les tentations nous donnent la mesure de notre faiblesse personnelle » (QCP 160). « Souvenez-vous que Jésus-Christ est notre modèle. Et que Jésus, tout Dieu qu'Il fût, permit qu'on Le tentât, pour qu'ainsi nous nous remplissions de courage et soyons sûrs de la victoire. Lui ne perd pas de batailles, et si nous nous trouvons unis à Lui, jamais nous ne serons vaincus, mais nous pourrons nous attribuer le titre de vainqueurs et l'être vraiment : être de bons enfants de Dieu » (QCP 66).

Bien que les tentations soient une occasion de croissance dans la vertu, il serait téméraire de s'y exposer inutilement. « Si vous laissez croître l’humilité dans votre âme, vous éviterez à tout coup les occasions, vous réagirez en ayant le courage de prendre la fuite ; et vous ferez quotidiennement appel au secours du ciel » (AD 180). En suivant l'enseignement paulinien (cf. 1 Co 6, 18), saint Josémaria exhorte : « N’aie pas la lâcheté d’être “ courageux ” : fuis ! » (C 132). Fuir n'est pas battre en retraite mais rendre vaines les attaques de l'ennemi. « C'est une chose de penser ou de ressentir, et une autre de consentir. La tentation peut être facilement rejetée : « même la plus petite grâce est suffisante pour résister à toute convoitise et mériter la vie éternelle » (S.Th., III, q. 62, a. 6 ad 3). Ce qu'il ne faut en aucun cas faire, c'est dialoguer avec les passions qui veulent déborder » (Lettre 24-III-1931, n. 21 : AGP Série A.3, 91-2-1).

La doctrine classique qui indique une triple origine des tentations dans « le monde, le démon et la chair » (C 708), acquiert des profils particuliers chez saint Josémaria :

- il met les tentations du diable, « père du mensonge » (Jn 8, 44), en relation avec la doctrine de la foi (cf. C 576), car « c’est une manœuvre caractéristique du diable, que d'essayer d'abuser la conscience chrétienne en argumentant insidieusement avec les mêmes termes qu'emploie l'éternelle Sagesse, en essayant de changer la lumière en ténèbres » (QCP 63) ; il essaie « d'aveugler nos intelligences avec l'orgueil » (Lettre 14-II-1974, n. 22 : AGP série A.3, 95-2-4). Pour combattre ces tentations, il recommande la sincérité dans la direction spirituelle. Le diable « sait que, dès que nous ouvrons notre âme, Dieu se déverse avec ses dons » (ibidem). D'où le conseil : « Soyons toujours sauvagement sincères, mais sans perdre la bonne éducation » (AD 188) ;

- concernant les tentations du « monde » – au sens négatif du terme : le monde taché ou déformé par le péché – saint Josémaria nous exhorte à « extirper avec courage tout symptôme d'embourgeoisement » (S 158). Il met en garde contre ce danger ceux qui sont appelés à la sainteté au milieu du monde et qui expérimentent les exigences de la vie mondaine (cf. S 343). « Le chrétien doit être toujours dispos à sanctifier la société de l'intérieur, en étant totalement dans le monde, sans être du monde, dans la mesure où celui-ci — non par nature, mais par suite d'une imperfection volontaire, le péché — est négation de Dieu et opposition à Son aimable volonté salvatrice » (QCP 125) ;

- enfin, les tentations de la « chair », c'est-à-dire de la triple convoitise (cf. 1 Jn 2, 16) qu'il décrit dans Quand le Christ passe, 5-6, sollicitent l'amour-propre désordonné et offrent ainsi une occasion d'affirmer, par la lutte, l'amour de Dieu par-dessus toutes choses.

b) Lutte contre le péché. « Je suis un pécheur qui aime Jésus-Christ » (Lettre 24-III-1931, n. 15 : BURKHART - LÓPEZ, III, c. 8, 4.1). Ces paroles, avec lesquelles il faisait référence à lui-même avec simplicité, confirment que la lutte contre le péché est un acte d'amour. Saint Josémaria essaie d'instiller une véritable « horreur du péché grave » (AD 243) parce que « le péché ne se réduit pas à une petite « faute d’orthographe » : mais (...) c’est crucifier, déchirer à coups de marteau les mains et les pieds du Fils de Dieu, et lui faire éclater le cœur » (S 993 ; cf. Héb 6, 6). En ce qui concerne le péché véniel, il enseigne « [qu’une] attitude profondément enracinée en nous doit être aussi de détester le péché véniel délibéré, ces défaillances qui ne nous privent pas de la grâce mais qui affaiblissent les canaux par lesquels celle-ci arrive jusqu’à nous » (AD 243).

Le rejet du péché n'est pas basé sur une peur servile du châtiment, comme chez quelqu'un qui s'abstient de pécher par peur des conséquences. Il ne s'agit pas d'un renoncement forcé à un bien mais d'une libération d'un mal : répudier le péché en tant qu'il est contraire à l'amour de Dieu. Grâce au sens de la filiation divine, le rejet du péché va de pair avec un sens très vif de la miséricorde du Père, source de joie et d'équilibre intérieur. « Dans ce tournoi d'amour, nous ne devons pas nous attrister des chutes, même des chutes graves, si nous nous approchons de Dieu, dans le sacrement de pénitence, repentis et avec le désir de nous corriger. Le chrétien n'est pas un maniaque qui collectionne des états de services irréprochables. Jésus-Christ Notre Seigneur, si ému de l'innocence et de la fidélité de Jean, est aussi attendri par le repentir de Pierre, après sa chute. Jésus comprend nos faiblesses et nous attire à Lui, comme par un plan incliné, en nous demandant de savoir persévérer dans notre effort pour monter un peu, jour après jour » (QCP 75). Le ton est toujours encourageant. « N’oubliez pas que le saint n’est pas celui qui ne tombe jamais, mais celui qui se relève toujours, humblement et avec une sainte opiniâtreté. S’il est écrit au livre des Proverbes que le juste tombe sept fois par jour (cf. Pr 24, 16), toi et moi, pauvres créatures, nous ne devons pas nous étonner ni nous décourager devant nos misères personnelles, devant nos faux pas » (AD 131).

Le péché n'a pas le dernier mot. La contrition rouvre l'âme à la vie surnaturelle. « La seule maladie mortelle, la seule erreur funeste : c’est de se résigner à la défaite, de ne pas savoir lutter selon l’esprit des enfants de Dieu » (F 168). En ce sens, il commente à plusieurs reprises la parabole de l'enfant prodigue (cf., par exemple, QCP 164) et encourage : « Si tu as commis une erreur, petite ou grande, reviens en courant vers Dieu ! — Savoure les paroles du psaume : “cor contritum et humiliatum, Deus, non despicies”, jamais le Seigneur ne méprisera ni ne se désintéressera d’un cœur contrit et humilié » (F 172). D'où une expression typique de sa prédication : « la vie spirituelle est commencement et recommencement continuels » (F 384), sans jamais se décourager, avec confiance en Dieu : « un continuel recommencement sur le chemin spirituel qui doit être accompagné sans cesse par la grâce actuelle » (SCHEFFCZYK, 1988, p. 67 ; cf. F 384). Avec la contrition, la lutte contre le péché comprend aussi « la réparation pour tes péchés et pour ceux des hommes de tous les temps » (S 258).

Le chemin du retour à Dieu après le péché passe toujours par la confession sacramentelle, au moins dans le désir. « La vie humaine est un perpétuel retour vers la maison de notre Père, à l'aide de la contrition (…). Revenir à la maison du Père au moyen de ce sacrement du pardon où, en confessant nos péchés, nous nous revêtons du Christ et devenons ainsi des frères, membres de la famille de Dieu » (QCP 64). Benoît XVI a identifié saint Josémaria parmi les saints qui ont le plus encouragé la réception fréquente de ce sacrement (cf. BENOÎT XVI, Discours, 25 mars 2011 §2).

Les péchés personnels peuvent laisser au chrétien un attachement désordonné aux créatures - et finalement, à lui-même - plus ou moins enraciné dans l'âme selon le type de péchés, la volonté et la fréquence. Dès lors, la lutte chrétienne exige aussi la purification de ces conséquences. « Prie le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et ta Mère de t’aider à mieux te connaître et à pleurer pour la quantité de souillures qui t’ont atteint en laissant, hélas, un tel dépôt... — Et en même temps, sans perdre de vue cette considération, dis-Lui : donne-moi, Jésus, un Amour qui soit comme un brasier purificateur, où ma pauvre chair, mon pauvre cœur, ma pauvre âme, mon pauvre corps se consument, en se débarrassant de toutes les misères terrestres... Et, une fois vidé de tout ce moi, remplis-moi de toi : fais que je ne m’attache à rien ici-bas et que je sois toujours soutenu par l’Amour » (F 41). Il s'adresse spécialement au Paraclet pour demander cette purification (cf. C 58) et voit les douleurs et les difficultés de la vie présente comme des moyens pour l'actualiser (cf. AD 141, AD 301-303).

c) Lutte contre les défauts. Distincts des vices, et des autres conséquences des péchés personnels, les défauts moraux ont leur origine dans le tempérament ou dans l'éducation reçue et ils n'entraînent pas de culpabilité, même s'ils impliquent un manque de vertu. Ils doivent être combattus. Sinon, « si tu ne les combats pas, tous tes défauts ne pourront jamais porter que le fruit des mauvaises actions » (S 776). Mais lorsqu'ils sont combattus pour l'amour de Dieu, ils sont une occasion de croissance en sainteté. « Remplis-toi de joie, certain que le Seigneur a accordé à tous la capacité de devenir saints, précisément en luttant contre leurs défauts personnels » (S 399). « La sainteté est dans la lutte, dans le fait de savoir que nous avons des défauts et de nous efforcer de les éviter jusqu’à l’héroïsme (...) Mais nous mourrons avec des défauts : autrement, je te l’ai déjà dit, nous serions des orgueilleux » (F 312).

5. Le manque de lutte : la tiédeur

Dans la prédication de saint Josémaria, le terme tiédeur conserve le sens traditionnel de « négligence à répondre à l’amour divin » (CEC, 2094), mais il s'ouvre aux manifestations plus spécifiques du domaine de la sanctification au milieu du monde. Cela se voit jusque dans les synonymes qu'il utilise, notamment celui de « l'embourgeoisement » (cf. S 158 ; F 89 ; AD 129).

La tiédeur apparaît liée au manque de lutte chrétienne. Plus qu'un acte, c'est un état d'âme, un refroidissement de l’amour pour Dieu auquel on arrive au bout d’un processus. Saint Josémaria fait allusion à son commencement de diverses manières ; par exemple : « Combats cette mollesse qui te rend paresseux et relâché dans la vie spirituelle. — N’oublie pas qu’elle peut être le commencement de la tiédeur… et, selon l’Écriture, Dieu vomira les tièdes » (C 325). En tout cas, ce qui caractérise son développement et l'état de tiédeur lui-même, c'est la récidive insouciante dans les péchés véniels : « Je sais bien que tu évites les péchés mortels. — Tu veux te sauver ! — Mais ces chutes continuelles et délibérées dans le péché véniel ne t’inquiètent pas ; et cependant tu entends chaque fois l’exhortation de Dieu à te vaincre. — Ta tiédeur est cause de cette mauvaise volonté » (C 327).

Le remède ne peut être autre que de lutter à nouveau par amour, avec la grâce de Dieu (cf. S 146). Plus précisément, il recommande de commencer par un examen de conscience attentif (cf. F 109, F 481).

6. Tactique et ton de la lutte

En plus de vouloir lutter, il faut savoir lutter. En ce sens, Saint Josémaria est un maître. Il y a dans ses œuvres une véritable « pédagogie de la lutte ascétique née de l'expérience de quelqu'un qui a consacré sa vie à indiquer le Chemin du chrétien en réponse à l'appel universel à la sainteté » (GARCÍA-HOZ, 1988, p. 182). Parmi les éléments centraux de cette pédagogie, il convient de noter :

a) la lutte pour mettre les moyens surnaturels et humains sur le chemin de la sainteté. « Je suis incapable de me vaincre ! m’écris-tu, découragé. — Et je te réponds : mais as-tu essayé d’en prendre les moyens ? » (C 716) ;

b) la lutte dans les petites choses. En prêchant la sainteté dans « la vie familiale, professionnelle, sociale, pleine de petites réalités terrestres » (Entretiens 114), il est convaincu que « c’est cela que nous demande le Seigneur : la volonté de vouloir L'aimer par des œuvres, dans les petites choses de chaque jour » (Chemin de Croix, 3ème Station) ; il y a dans ce conseil un motif de tactique militaire : l'avantage de mener la bataille « sur des positions que tu as portées bien au-delà des remparts de ta forteresse » (C 307) ;

c) la lutte dans l'examen particulier et sur d'autres résolutions concrétisées dans la prière et la direction spirituelle (cf. C 240-241) ;

d) la lutte « par un plan incliné » (QCP 75), insistant sur « notre effort pour monter un peu, jour après jour » (QCP 75), avec des objectifs accessibles, pour ne pas se décourager, et en comptant sur le temps et l'action de la grâce (cf. C 887).

Le ton du combat dans son enseignement est celui d'un « sport surnaturel » dans lequel celui qui combat par amour de Dieu est assuré de la victoire finale. « Le vrai sportif ne lutte pas pour obtenir une seule victoire, remportée du premier coup. Il se prépare, il s’entraîne pendant longtemps, avec confiance et sérénité : il essaie maintes et maintes fois et, même s’il ne triomphe pas tout de suite, il insiste avec opiniâtreté, jusqu’à ce qu’il ait surmonté l’obstacle » (F 169).

Le lien entre paix intérieure et lutte chrétienne est fortement souligné dans l'enseignement de saint Josémaria. « La paix est la conséquence de la guerre, de la lutte, de cette lutte ascétique, intime, que chaque chrétien doit soutenir contre tout ce qui, dans sa vie, ne vient pas de Dieu » (QCP 73). La relation entre lutte personnelle et paix avec les autres et dans le monde dépend de cette relation (cf. F 102). C'est pourquoi il conçoit l'apostolat chrétien comme « des semailles de paix et de joie » (AD 105).


Thèmes connexes : Conversion ; Contrition ; Défauts ; Examen de conscience ; Mortification et pénitence ; Péché ; Paix ; Pénitence, vertu et sacrement de la ; Tiédeur.

Bibliographie : Ernst BURKHART - Javier LÓPEZ Vie quotidienne et sainteté dans l'enseignement de saint Josémaria. Étude de théologie spirituelle, III, Madrid, Rialp, 2013, pp. 253-439 ; Salvador CANALS Ascétique méditée, Madrid, Rialp, 1974 Francisco FERNÁNDEZ CARVAJAL La tiédeur, Madrid, Palabra, 2002 ; Víctor GARCÍA-HOZ, « Sur la pédagogie de la lutte ascétique dans Chemin », in José MORALES (coord.) Etudes sur Chemin, Madrid, Rialp, 1988, pp. 181-211 ID. La pédagogie de la lutte ascétique, Madrid, Rialp, 1963 ; Joseph de GUIBERT, "Ascèse, Ascétisme", in DSp, I, 1937, col. 936-938, 977-990 ; Leo SCHEFFCZYK, « Die Gnade in der Spiritualität von Josemaría Escrivá », in César ORTIZ (Hrsg.) Josemaría Escrivá. Profile einer Gründergestalt, Köln, Adamas Verlag, 2002, p. 53-74 ; Pilar URBANO L'homme de Villa Tevere. Les années romaines de Josémaria Escrivá, Barcelone, Plaza & Janès, 1995.

Javier LÓPEZ DÍAZ