La dernière Cène

Philippe de Champaigne

Les heures qui ont précédé la Passion et la mort de Jésus sont restées gravées avec une force singulière dans la mémoire et le cœur de ceux qui ont été avec lui. C’est pourquoi les écrits du Nouveau Testament conservent pas mal de détails au sujet de ce que Jésus a fait et dit au cours de son dernier repas. Selon Joachim Jeremias, c’est un des épisodes les mieux attestés de sa vie. Dans cette circonstance, Jésus retrouvait seul avec les douze apôtres (Matthieu 26, 20 ; Marc 14, 17 et 20 ; Luc 22, 14). Ni Marie, sa mère, ni les saintes femmes, ne l’accompagnaient.

Selon le récit de saint Jean, au commencement, dans un geste lourd de signification, Jésus lave les pieds de ses disciples, leur donnant ainsi un exemple humble de service (Jean 13, 1-20). Ensuite a lieu un des épisodes les plus dramatiques de cette réunion : Jésus annonce qu’un d’entre eux va le trahir, et ils se regardent les uns les autres avec stupéfaction tandis que Jésus désigne Judas avec une grande délicatesse (Matthieu 26, 20-25 ; Marc 14, 17-21 ; Luc 22, 21-23 et Jean 13, 21-22).

Au cours de la célébration proprement dite de la cène, le fait le plus surprenant a été l’institution de l’Eucharistie. Nous conservons quatre récits de ce qui s’est passé à ce moment-là : les trois récits des synoptiques (Matthieu 26, 26-29 ; Marc 14, 22-25 ; Luc 22, 14-20) et celui de saint Paul (1 Co 11 ? 23-26). Ils sont très semblables entre eux. Il s’agit dans tous les cas de narrations de quelques versets à peine, qui rappellent les gestes et les paroles de Jésus qui ont donné lieu au sacrement et qui constituent le noyau du rite nouveau : « Il prit ensuite du pain, le rompit après avoir rendu grâces et leur en donna en disant : — Ceci est mon corps, donné pour vous. Faites cela en mémoire de moi » (Luc 22, 19 et parallèles).

Philippe de Champaigne

À la fin du repas, quelque chose d’une importance particulière se produit : « Et pareillement, après le souper, il prit la coupe en disant : — Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, versé pour vous » Luc 22, 20 et parallèles).

Les apôtres comprirent que s’ils avaient assisté auparavant à la remise de son corps sous les apparences du pain, il leur donnait maintenant son sang à boire dans le calice. De cette façon, la tradition chrétienne a perçu dans ce souvenir du don séparé du corps et du sang un signe efficace du sacrifice qui devait consommer quelques heures plus tard sur la Croix.

En outre, pendant tout ce temps, Jésus parlait avec affection, laissant ses derniers mots dans le cœur de ses apôtres. L’Évangile selon saint Jean conserve le souvenir de cette conversation longue et intime. C’est à ce moment-là que se situe le commandement nouveau, dont l’accomplissement sera le signe distinctif des chrétiens : « Je vous donne un commandement nouveau : que vous vous aimiez les uns les autres, et que vous vous aimiez comme je vous ai aimés. C’est à cela que tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jean 13, 34-35).