La personne et l’œuvre de Paul

Tous les mois, nous vous proposons un article autour de l'année consacrée par Benoît XVI à l'Apôtre des Gentils. Dans ce deuxième article, Joseph Grifone nous présente la personne de Paul.

Le désert de Syrie

Les sources

La vie de saint Paul nous est connue à travers deux sources : les Actes des Apôtres qui font suite à l'évangile de Luc – il est probable, d'ailleurs, qu’au début, ces deux récits ne formaient qu’un seul livre – et les lettres que Paul a envoyées lui-même aux communautés qu’il avait fondées. Ces dernières, écrites dans les années 50-56, nous offrent un témoignage de première main, d’une valeur historique évidente, bien que il s’agisse d’écrits de circonstance et qui donc ne donnent pas un récit suivi. Les Actes en revanche donnent un récit suivi, dont on reconnaît généralement la solide valeur historique. Leur rédaction est plus tardive (vers les années 80 au plus tard) et, de plus, ils reflètent le point de vue "théologique" propre à saint Luc : la lumière de du Christ atteint Jérusalem, la ville sainte, et de Jérusalem elle se répand dans toutes les nations ; ainsi saint Paul y est vu dans cette perspective historico-salvifique : il est l'instrument choisi par Dieu pour porter l'évangile à toutes les nations, en parfaite syntonie avec les Apôtres à Jérusalem. Cette empreinte "théologique", entraîne parfois quelques traits d'idéalisation ou d’harmonisation ; mais en fait elle nous offre quelque chose de plus précieux qu'un simple récit rigoureux et froid : par elle nous rentrons dans la vision de Paul qu'en avait la toute première communauté chrétienne et témoigne du fait que son enseignement et son rôle furent acceptés très tôt par l'Eglise primitive. Les Lettres et les Actes en fait se complètent et s'éclairent mutuellement.

Le désert de Syrie

Le milieu

Paul naquit au début de l’ère chrétienne à Tarse en Cilicie, dans le sud de l'actuelle Turquie. On sait que sa famille bénéficiait du droit de citoyenneté romaine. Il était probablement un peu plus jeune que Jésus, car lors du martyre d’Etienne, vers l’année 35, il était un « jeune homme » (cf. Act 7,58).

 Tarse était une cité importante à l'époque, véritable métropole, ville commerçante et lieu de transit. En contact avec monde culturel de l'Asie Mineure par le Nord, et avec l'Orient sémitique par la Syrie toute proche, elle entretenait des échanges avec les pays méditerranéens par le port. Les tarsois s'énorgueillissaient d’habiter une ville cultivée, rivalisant par ses écoles avec Athènes et Alexandrie et ouverte à la communication entre l'Occident et de l'Orient.

Paul était d’une famille juive de stricte observance. Il avait reçu cependant une éducation à la fois rigoureuse et ouverte, dans la ligne de l’un des grands maîtres d’Israël, Hillel, favorable une interprétation large et éclairée de la Torah. Le milieu juif de la Diaspora était plus ouvert que celui de la Palestine. La Bible était lue dans la version grecque des Septante (du Ve-IIe siècle av. J.C) dans laquelle perçaient déjà des développements et des approfondissements théologiques qui préparaient les esprits à une lecture chrétienne de l’Ancien Testament.

Il est important de noter que Paul n’a pas grandi dans un milieu clos. Quand plus tard il se convertira au Christ, son ouverture d’esprit, l’amplitude de son regard dépassant les frontières de la Palestine, sa culture non négligeable, lui permettront de saisir la dimension universelle de l’enseignement de Jésus, et le lanceront ensuite sur les routes de l’Orient et de l’Europe pour y apporter son message. 

La conversion

La conversion de Paul, illustrée par le Caravage

Paul était un esprit entier et exigeant, doué d’un caractère ferme et résolu. Sa vie religieuse était marquée  par un attachement fidèle à la Loi, une foi sans faille et une piété profonde et sincère envers le Dieu de ses Pères. L’on comprend que lorsque l’écho de l’enseignement de Jésus parvint à lui, il le perçut comme blasphème : comment pouvait-il reconnaître le Messie, le Libérateur d’Israël, celui qui rétablirait le culte et l’observance de la Loi, dans ce charpentier crucifié comme un malfaiteur en qui ses disciples s’obstinaient à voir l’égal de Dieu ? Aussi, comme le dit lui-même dans ses lettres, il s’attaqua à l’Église naissante avec tout le zèle et avec toute la fougue de son caractère.

Puis soudain ce fût la conversion (vers l’année 35). Dans cet épisode, qui, compte tenu de la fermeté de ses convictions et de la solidité de son caractère, reste psychologiquement inexplicable, Paul verra toujours l’action directe de Dieu, la rencontre avec Christ dans sa gloire et la racine aussi de son investiture apostolique.

Après une période de trois ans en Arabie (en fait dans le région à l’est et au sud-est de Damas) consacrée à la réflexion et aussi sans doute aussi à l’évangélisation, Paul se rendit à Jérusalem pour rencontrer Pierre. Épisode important, dont Paul lui-même fait mention dans la lettre aux Galates, avec même une certaine solennité : il montre en effet son souci de se situer en continuité avec le Eglise de Jérusalem et de recevoir de première main la tradition sur Jésus. Le fait qu’il ait commencé à prêcher en Syrie et en Cilicie, indique que les Apôtres donnèrent leur accord à la conception du mystère du Christ qui, dans ses grandes lignes se dessinait à son regard, et qu’il ne manqua pas, bien entendu, de leur expliquer.

Les missions apostoliques

Puis vers 45 commence son impressionnante œuvre évangélisatrice : à Chypre d’abord, dans la Galatie du Sud (sud-est de l’Anatolie), puis vers l’année 50, il passe en Europe. Il établit des communautés chrétiennes à Philippe, Thessalonique, Corinthe, il prêche même dans l’Aéropage d’Athènes ou il connaît l’échec de l’annonce du « Christ crucifié et ressuscité » face à la suffisance intellectuelle de ses auditeurs. Il se rend ensuite à Ephèse, en Asie Mineure et de là il évangélise la région, la Frigie et la Galatie du Nord.

Les Actes des Apôtres – conforment à la perspective théologique de Luc que nous avons expliquée – présentent schématiquement cette activité missionnaire en trois voyages effectués à partir de Jérusalem. Il faut les voir plutôt comme une activité missionnaire en grande partie avec son épicentre à Éphèse. Cependant Paul se rendit bien à Jérusalem à deux reprises. L’extraordinaire amplitude de ses conceptions, l’audace avec laquelle il ouvrait l’accès au Christ aux païens sans les obliger à se soumettre à Loi mosaïque, suscitaient l’accueil et l’adhésion de plusieurs, mais, on s’en doute, soulevaient aussi les appréhensions, l’hostilité et l’opposition ouverte de la part d’autres. Aussi Paul fut, d’une certaine manière, appelé à se justifier à Jérusalem (vers 49). Là il rencontra les « colonnes de l’Église » (Ga 2,9), Pierre, Jacques et Jean, qui après l’avoir entendu, lui confirmèrent leur accord. Aussi Paul reprit la route de la mission, toujours plus loin, en apportant l’Évangile en Europe, puis en rendant visite aux communautés de la Galatie du Nord.

Sa captivité et sa mort

La prison mamertine, où saint Paul a terminé ses jours.

Paul revint à Jérusalem vers 56 encore une fois pour surmonter les préventions à son égard : il apportait une collecte réalisée dans son territoire de mission au bénéfice des chrétiens de l’Église mère, ce qui témoigne de son souci d’être en accord avec les premiers disciples du Christ et de sa sollicitude pour l’unité. En effet, si les Apôtres étaient disposés à lui faire confiance, les troubles soulevés par son action suscitaient toujours l’opposition de certains secteurs, surtout de la caste sacerdotale. Arrêté à cause d’une émeute provoquée par sa présence, il fit usage de son droit de citoyen romain pour à être jugé à Rome, poussé par le désir d’annoncer le Christ dans la capitale de l’Empire. Les Actes des Apôtres s’arrêtent à l’arrivée de Paul à Rome (vers 59 ou 60). C’est à dessin, sans doute, que l’auteur des Actes arrête là son récit : la lumière du Christ, partie de Jérusalem, est arrivée dans la capitale du monde.

D’après les Lettres Pastorales (la lettre à Tite et les deux lettres à Timothée), qui offrent un témoignage particulièrement important de l’enracinement de la doctrine paulinienne dans l’Église primitive, le procès de Paul aurait tourné à son avantage (vers 62). L’Apôtre aurait alors repris ses voyages, puis il aurait été arrêté à nouveau en Asie Mineure et à nouveau jugé à Rome, où il aurait été condamné à mort. La tradition la plus ancienne est en tout cas unanime pour affirmer que Paul subit le martyre à Rome. Récemment, les recherches archéologiques ont permis d’identifier ses restes situés près de l’emplacement où, selon la tradition, eut lieu son martyre.

On peut avoir une idée du travail immense accompli par Paul lorsqu’on sait qu’il parcourut quelques 7800 km à pieds et à 9000 km par la mer, dans des conditions effrayantes : chemins pierreux, passages abruptes dans les montagnes infestées de brigands, torrents à traverser à la nage... Aujourd’hui encore, on ne peut relire sans émotion ce passage dans la seconde épître aux Corinthiens (11-22-12,5) où Paul est amené à faire son apologie face à ses adversaires : son âme nous apparaît à vif dans l’énumération impressionnante des contradictions endurées, mais plus encore dans son zèle inépuisable, sa préoccupation pour toutes les églises et, par dessus tout, dans son amour du Christ.