L'œcuménisme aujourd'hui

Joseph Grifone participait, avec la Délégation de l’Opus Dei, à la IIIème Assemblée Œcuménique Européenne qui a eu lieu a Sibiu, en Roumanie, en septembre dernier. Il nous livre son expérience.

Cet entretien fait suite à un article du même auteur rappelant l'importance de l'oecuménisme (lien en bas de page)

Quelle impression retenez vous du Congrès et de la situation actuelle du mouvement œcuménique ?

La réunion plénière commençait le matin par une prière commune, de très beau niveau en ce qui concerne les méditations, les chants, les « témoignages ». La liturgie catholique était particulièrement soignée ; la Messe, qui avait lieu avant la réunion plénière, était empreinte de dignité et de beauté. La célébration de la Fête de la Nativité de Marie, le 8 septembre, fut spécialement émouvante : une cérémonie en commun avec les catholiques de rite byzantin, selon la liturgie de saint Jean Chrysostome.

Le point le plus remarquable, à mon avis, concerne l’ambiance dans laquelle l’Assemblée s’est déroulée. L’époque de l’optimisme facile d’il y a une cinquante ans, où certains préparaient des déclarations communes négligentes, voire ambiguës, est révolue. On comprend, en général, qu’il y a encore un long chemin à parcourir pour arriver à l’unité, mais le premier pas – indispensable à la réalisation des fins de l’œcuménisme – a été franchi. Enfin, après des siècles de méfiance, on se parle, on prie ensemble, on se traite avec affection et on s’écoute avec respect. Puisque la plupart des représentants étaient des jeunes, cela est de bon augure. L’intérêt pour l’unité est sincère, même si nombreux sont ceux qui ne se rendent pas vraiment compte des difficultés encore existantes. Avec un peu d’optimisme peut-être, j’aime penser que si la base est ouverte, il sera plus facile, un jour, d’accepter des résolutions d’unité doctrinale qui viendraient d’en-haut.

Comment décrire ce qui nous sépare actuellement ?

La situation des catholiques par rapport aux orthodoxes est différente d'avec les protestants.

Pour ce qui est des orthodoxes, même si la question de la primauté de l’évêque de Rome continue de poser problème, l’obstacle qui nous sépare est plus d’ordre culturel et historique que dogmatique. Ce type de rencontres permet d’avancer considérablement pour résoudre ces difficultés.

Il y a une identité de vue complète sur les problèmes éthiques de notre société et sur la doctrine sociale, comme on a pu le voir par l’intervention du Métropolite de Smolensk, Kirill, l’une des plus intéressantes de tout le Congrès me semble-t-il.

Avec les protestants, le problème est inverse. Nous sommes culturellement proches, il y a de réelles relations de dialogue et d’ouverture qui ont même abouti à un accord sur un point de doctrine fondamental (la doctrine de la justification), mais des différences doctrinales importantes nous séparent encore.

Il semble que les différences entre catholiques et protestants portent essentiellement sur la nature de l'Église. Pourriez-vous préciser cela ?

Pour nous catholiques, l’Église est une réalité humaine et surnaturelle à la fois, dans laquelle la grâce divine est à l’œuvre et la coopération humaine avec la grâce est réelle, féconde et efficace. La théologie catholique qui a suivi le Concile Vatican II a développé et approfondi la vision de l’Église comme sacrement du Christ, c’est à dire une réalité humaine qui, malgré ses limitations et ses erreurs, rend présent le Christ dans son agir, sa grâce, sa Lumière.

Cette vision de l’Église, partagée en bonne partie par d’importants secteurs de la Communion Anglicane plus sensibles à la Tradition catholique, reste difficilement accessible à beaucoup de protestants pour lesquels le péché a atteint si profondément la nature humaine qu’une vraie coopération avec la grâce paraît impossible. De ce fait les protestants ont une vision plus immanente de l’Église ou, si l'on veut, plus sociologique.

Aussi n’avons-nous pas la même notion d’unité. Les protestants seraient prêts à s’accommoder d’une union invisible, une « union de la charité », qui accepterait des divergences sur des points qui, pour nous, catholiques, sont essentiels. Ainsi que l'a résumé Mgr Adolfo Gonzales Montes : l’unité de l’Église sera visible ou ne sera pas. Il n’y aura pas d’unité visible s’il n’y a pas unité de confession de notre foi. Et bien sûr, si nous n’avons pas la même notion d’unité visible, parler d’unité est utopique.

Est-ce pour autant un obstacle insurmontable ?

Non. De fait, la conception de l’unité comme union visible progresse de plus en plus chez les protestants. Il y a beaucoup de signes en ce sens, le plus important étant sans doute l’accord signé il y a quelques années sur la doctrine de la justification, auquel j’ai déjà fait allusion. Ce qui importe, c’est d’être réaliste. Si chacun approfondit sa propre foi avec droiture d’intention et respect des convictions des autres, si chacun cherche vraiment la vérité, elle finira par s’imposer.

Permettez-moi de vous raconter une petite anecdote, significative de la situation que j’ai décrite. Le dernier jour du Congrès a eu lieu une réunion plénière – il y avait environ 1500 participants – au cours de laquelle il fallait présenter des motions et des amendements pour la rédaction du message final. Pendant tout le Congrès on avait beaucoup parlé de protection des libertés individuelles, de respect de la création, du danger de réchauffement climatique. Mais on n'avait guère parlé de la protection de la vie humaine, à l’exception de l’intervention du Métropolite Kirill. Si bien que lorsque j'ai pris la parole pour proposer de mentionner, dans le paragraphe sur le respect de la création, l’importance de défendre la vie humaine « depuis la conception, jusqu’à la mort naturelle », beaucoup ont applaudi, mais d’autres se sont tus.

L’amendement, défendu par les catholiques et les orthodoxes, n’a tout d'abord pas été retenu par la commission chargée de rédiger le rapport, puis il a été repris dans une commission ultérieure, lu dans l’Assemblée générale, et finalement supprimé pour des motifs de forme. Mais l’on sait que sous ces motifs de procédure se cache toujours une question substantielle. A cause de cet incident, la publication du Message final a été retardée de plus de deux semaines « pour des raisons techniques », puis finalement l’incident a été signalé en note en bas de page de la version définitive.

Quelle leçon avez-vous tiré de cet épisode ?

Ce que cet incident a mis en évidence est que nous ne sommes pas entrés à fond dans un débat œcuménique sur les questions éthiques, et que les divergences « dogmatiques » ont pris le dessus. Pour cela je considère comme un signe très positif pour l’avenir du mouvement œcuménique que le message final de la IIIe Assemblée Européenne ait tenu à laisser une trace de ce désaccord, ne fût-ce que dans une note en bas de page. C’est justement dans les questions d’éthique que nous, chrétiens d’Europe, devons montrer à l’Europe où sont ses racines et son avenir. C'est d'ailleurs ce qu’a fait le Métropolite Kirill. Et c’est en reconnaissant ce qui nous sépare et ce qui nous unit que l’unité des chrétiens peut progresser.

On ne peut pas être pessimiste lorsqu’on sait que l’Esprit Saint dirige l’Église. Mon impression principale demeure celle que je signalais au début. Après des siècles d’hostilité et de méfiance, nous sommes parvenus à un vrai dialogue, sincère, respectueux, ouvert, ce qui est la condition préalable pour répandre et pour accueillir la vérité.