Éthique et médecine : comment les conjuguer ?

Pierre Girardot est médecin dans un laboratoire à Saint-Brieuc. Il est membre de l'Opus Dei depuis 1971. Il nous expose quelques enjeux éthiques de la spécialité qu’il exerce.

Pierre Girardot, en vacances, dans le massif de l'Oisan

Vous êtes médecin spécialiste en anatomie pathologique : votre spécialité consiste à établir le diagnostic des maladies par l’examen au microscope. L’éloignement physique du patient modifie-t-il la perception du métier du médecin ?

Le danger, quand on ne voit le malade qu'à travers une lame de verre, est de ne voir qu'un « cas ». Mais votre question touche un problème plus général, qui est celui de la multiplicité des spécialités : chaque spécialiste court le risque de ne voir que l’organe ou la fonction qui ressort de sa compétence et d’oublier la personne. Enfin la virtuosité technique de certaines spécialités d’imagerie médicale ou de chirurgie peut conduire le médecin à privilégier l’intérêt du geste technique, en laissant à l’arrière-plan sa préoccupation pour le malade.

Dans ma propre spécialité, le diagnostic n’apparaît pas à l’évidence à la seule observation au microscope : j’ai besoin de connaître l’histoire de la maladie et les circonstances qui ont conduit à cette étape du diagnostic qui ressort de ma compétence. Aussi pour moi la personne est-elle toujours présente, même si par nécessité je n’ai pas de contact direct avec le patient.

Comment se pose la « question éthique » dans votre exercice quotidien ?

Dans certaines spécialités, qui mettent en jeu de façon plus immédiate la vie et la mort, le risque existe de perdre de vue que le malade est une unité indivisible entre ces deux extrêmes, oublier qu’à chaque instant et sans discontinuité il est toujours une personne.

Je suis rarement confronté à la décision à ces deux pôles. Cependant je suis parfois conduit à réfléchir personnellement aux possibles implications de mes conclusions diagnostiques : quand je sais que ces conclusions pourront générer une série de décisions importantes pour le patient, ou pour tout ce qui touche à la procréation, à chacune de ses étapes.

Le respect de l’éthique par le médecin aujourd’hui est devenu plus complexe. Pour beaucoup il se réduit au respect d’une simple déontologie conventionnelle. Mais il faut convenir que les lois de bioéthique ont introduit des concepts erronés, qui avalisent des attitudes inacceptables pour un catholique, au prétexte de situations particulières qui autoriseraient des pratiques non éthiques. Le serment d’Hippocrate, dans sa brièveté et sa concision, me semble bien plus proche des principes éthiques auxquels un médecin catholique adhère que le Code de déontologie actuel, qui sert de référence à l’exercice de tout médecin d’aujourd’hui.

Comment concevez-vous le rôle d’un médecin chrétien ?

Le médecin est avant tout un professionnel. Exercer son métier auprès des malades requiert un état d’esprit fondé sur le service de la personne. Il faut constamment lutter pour ne pas laisser s’insinuer dans notre pratique quotidienne une mentalité utilitariste qui conduit à toutes les formes d’eugénisme et à l’euthanasie.

Il faut apprendre ou réapprendre la valeur d’un sourire, d’un simple regard, d’un geste comme prendre et tenir la main d’un malade, même quand il semble ne pas réagir. Mon expérience de jeune étudiant m’a beaucoup frappé au premier contact professionnel avec le patient qui n’est pas en mesure de répondre même à ce qu’on appelle en terme technique un « ordre simple », autrement dit le malade inconscient, quelles que soient les raisons de son inconscience. C’est souvent dans un service de réanimation que le futur médecin fait ses premières armes avec cette « non-communication » qui s’apparente à la mort et qu’il s’interroge sur le sens de la vie. Si l’on a de la vie humaine une conception exclusivement matérialiste, alors la vie n’a pas plus de sens que la mort.

L’un des paradoxes de la médecine contemporaine est que dans le même temps où se sont développées des techniques très sophistiquées pour vaincre les impossibilités médicales de procréer et pour surmonter les états d’inconscience liés à des traumatismes cérébraux, se sont développées beaucoup de méthodes pour anéantir la vie naissante ou pour précipiter la mort.