Un Pasteur hors du commun

A l'occasion des funérailles du Cardinal Jean-Marie Lustiger à Notre Dame de Paris, Mgr Augustin Roméro nous a livré ses souvenirs. Il a été un proche collaborateur du Cardinal pendant dix ans.

L'abbé Roméro, Vicaire judiciaire du diocèse de Paris (au centre)

Monseigneur, comment avez-vous connu le Cardinal ?

J'ai rencontré le cardinal Lustiger pour la première fois en 1989, alors que j'étais vicaire régional de l'Opus Dei en France. Ce fut une brève visite de présentation, où il se montra aimable et ouvert.

Quelques années plus tard, il recherchait un vicaire judiciaire et s'en ouvrit à Rome à un ami qui lui dit « il vous faut l'abbé Maycas », un prêtre de l'Opus Dei qui travaillait au diocèse de Marseille. Lorsque Ferdinand Maycas prit ses fonctions à Paris, il fallut lui trouver un remplaçant de la prélature à la demande de l'archevêque de Marseille à l'époque, le cardinal Coffy. Mgr Lustiger nous fut très reconnaissant de ce service d'Église.

Puis, au moment du remplacement de Mgr Maycas, le cardinal demanda au prélat de l'Opus Dei que je lui succède.

Nous avions une grande intimité; il m'appelait souvent pour des questions de droit canonique et il me fit nommer prélat d'honneur de Sa Sainteté seulement trois mois après ma prise de fonction, marque d'estime à laquelle je fus très sensible.

Vous avez été l'un de ses collaborateurs pendant presque dix ans. Quels traits marquants gardez-vous de lui ?

La confiance. Il faisait confiance aux hommes, et ne voulait jamais imposer un point de vue contre l'avis des experts – du moins dans mon domaine. On a entendu dire qu'il contrôlait tout : dans la charge qui m'était confiée, j'avais une totale autonomie. Il déléguait les compétences avec confiance.

Il me semble que pour lui, en tant que gouvernant, former, sélectionner et suivre les séminaristes était ce qu'il y avait de plus important, avec le soin des prêtres de son diocèse.

Il travaillait beaucoup, et il avait toujours plein d'idées : l'Ecole Notre Dame, les Bernardins, les petites maisons pour les séminaristes... mais tout était parfaitement compatible avec le soin des personnes – séminaristes et prêtres – qu'il plaçait en premier.

Lorsqu'il a lancé KTO, il ne s'est pas contenté de dire « allez-y », mais il a payé de sa personne en allant voir des chefs d'entreprise pour obtenir des fonds.

Le Cardinal Lustiger et le grand Rabbin Joseph Sitruk

D'après vous, qu'a-t-il apporté à l'Eglise ?

Il avait de très bonnes relations avec Jean-Paul II. J'ai constaté que c'était un véritable homme de prière, à l'instar de notre Pape, et il avait la même vision de l'Église que lui.

Il a particulièrement aidé Jean-Paul II dans le dialogue judéo-chrétien dont il était le mentor. Rappelez-vous son action pour le carmel d'Auschwitz ou ses voyages à New-York.

Il a également préparé et fait nommer de nombreux évêques – on a pu le voir lors de ses funérailles –, fourni des gens pour les congrégations romaines.

En France, il a lancé une association « des prêtres pour la ville », qui consiste à envoyer des prêtres du diocèse de Paris, pour un temps, dans des diocèses de la Grande Couronne. Car sa préoccupation dépassait les limites de son diocèse !

Enfin, il a donné un grand rayonnement culturel à l'Église; il suffit de rappeler sa présence à l'Académie Française.

Et qu'a-t-il apporté au diocèse de Paris ?

Le Cardinal Lustiger et Jean-Paul II, au cours des JMJ 1997 à Paris

Il a apporté un temps nouveau, un vent nouveau : du dynamisme, de l'imagination... Bien sûr, cela a fait souffrir certaines personnes, c'était inévitable.

Il a fait « bouillonner » le diocèse, pourrait-on dire : il a engagé les paroisses dans la nouvelle évangélisation, fait appel à la communauté de l'Emmanuel...

Je vous parlais des prêtres et séminaristes. Je pense qu'il a réveillé les vocations au séminaire, puis a créé les structures pour bien suivre et former chaque séminariste.

On pourrait encore citer l'Ecole Cathédrale, et tant d'autres choses. On peut vraiment dire qu'il a secoué le diocèse. C'était un Pasteur hors du commun.

Avez-vous eu l'occasion de parler avec lui de l'Opus Dei ?

Son premier contact avec l'Opus Dei a eu lieu en 1955. Aumônier du centre Richelieu, il organisait un pèlerinage en Espagne. On lui avait parlé de l'Opus Dei, et il voulut savoir ce que c'était en voyant par lui-même, pour avoir une information de première main. Il déjeuna, à l'époque, dans un centre de l'Opus Dei à Paris.

Il y a un peu moins d'un an, lors d'une hospitalisation, un chirurgien lui fit part de son besoin de vie spirituelle – cet homme travaillait beaucoup. Le cardinal lui répondit « Allez à l'Opus Dei. Ils ont ce qu'il vous faut ». Puis il m'appela pour me dire « Je vous ai envoyé Untel ». Il pensait que si les gens avaient un charisme, c'était pour le bien de leur diocèse. Parmi d'autres choses, il savait très bien qu'un certain nombre de ses séminaristes avaient été en rapport avec des centres de l'Opus Dei. Il connaissait aussi l'attachement et l'affection de tous les fidèles de l'Opus Dei de Paris envers leur Archevêque.