Dieu joue-t-il aux dés ?

La physique quantique est un bon point de départ pour parler de la liberté, du destin et de Dieu. C’est ce que pensent les universitaires de 9 pays différents qui se sont retrouvés à Londres pour débattre autour du sujet « L’évolution, le hasard et l’intelligence dans la nature »

La rencontre a eu lieu à Netherhall House, une résidence d'étudiants à Londres

La science facilite énormément la vie et elle peut aussi aider l’homme à se comprendre lui-même. Pour ce faire, il faut que les avancées scientifiques soient étayées par une réflexion humaniste et anthropologique.

Afin d’arriver à cette vision globale, depuis 1992, différentes associations d’étudiants et d’enseignants se retrouvent tous les ans et débattent sur les progrès faits dans chaque secteur de la science pour partager leur savoir et leurs opinions.

L’édition 2007 de « L’international Interdisciplinary Seminars » a rassemblé récemment à Londres des ingénieurs, des biologistes, des physiciens, des mathématiciens, des philosophes et des juristes autour du sujet : « Does God play dice ? Evolution, Randomness and Intelligence in Nature. »

Nous avons recueilli les propos d’Antoine Suarez et de Lorenzo de Vittori, participants à ce forum qui a eu lieu à Netherhall House, résidence d’étudiants et œuvre collective de l’Opus Dei.

À quoi bon se demander si Dieu joue ou non aux dés ?

Cet intitulé fait allusion à la polémique d’Einstein contre la physique quantique. Cette branche du savoir prétend que les phénomènes physiques ne peuvent pas exclusivement être expliqués de façon déterministe, par des causes matérielles et observables.

Einstein, partisan du déterminisme, répondait : « Dieu ne joue pas aux dés ». Or, si le monde ne fonctionnait que de façon déterministe, il n’y aurait aucune place pour la liberté. Cette polémique est toujours d’actualité.

Mathématiciens, ingénieurs, philosophes, physiciens… quel est votre intérêt commun ?

La liberté. Dès leur démarrage en 1992, c’est le fil conducteur qui donne une unité à des séminaires interdisciplinaires pour universitaires. Avec ces débats, nous voulons promouvoir une réflexion scientifico-philosophique à partir des résultats des sciences expérimentales et des mathématiques, afin de décrire un monde où la liberté est possible.

Quel est le profil des participants ?

Des étudiants et des enseignants intéressés par la liberté, l’évolution et Dieu, questions débattues par scientifiques et philosophes.

Le forum a réuni des chercheurs, des professeurs et 60 étudiants provenant de 9 pays : Grande Bretagne, Irlande, Hollande, Italie, Suisse, Croatie, France, Canada et Taiwan. Le nombre était limité par notre capacité d’hébergement. La moyenne d’âge était de 25 ans.

La liberté, l'évolution, Dieu... des questions abordées par les participants.

Cette activité cherche à encourager la communication interdisciplinaire. Je pense que le but est réussi puisqu’il y a eu des représentants de pratiquement toutes les disciplines scientifiques : physiciens, mathématiciens, ingénieurs, biologistes, médecins, statisticiens, informaticiens ainsi que des philosophes, des juristes, des étudiants de sciences politiques, voire aussi des artistes.

Quels ont été les principaux débats ?

Ils ont tous tourné autour des conséquences philosophiques de la physique quantique et des mathématiques ; la tension entre évolution et création ; l’importance du hasard quantique pour la liberté ; le rapport entre l’âme spirituelle et le cerveau et la définition de la mort.

Quelles ont été les propositions les plus originales ?

Le premier résultat original est l’idée qu’il est possible de concilier la perspective philosophique de Thomas d’Aquin et les expériences récentes de la physique quantique. Comme l’ont exposé les groupes de Zurich (Lorenzo de Vittori, Andreas Schwaab) et de Zagreb (Vuko Brigljevic et Roco Plestina), Ces expériences révèlent l’existence de phénomènes dont l’origine ou la cause est hors de l’espace et du temps parce qu’elle est immatérielle. Elles permettent aussi d’actualiser la vision thomiste de l’âme en tant que forme du corps : dans les mouvements spontanés de notre corps, l’énergie nécessaire joue le rôle de cause matérielle ; l’âme, en revanche, intervient comme cause formelle au niveau des choix posés (par exemple : tourner à gauche au lieu d’à droite). Juléon Schins (de Delft, Pays-Bas) a proposé son expression « hylémorphisme quantique ». Nous avons essayé d’appliquer cette explication à la définition de la mort et cela semble marcher correctement.

Cesare Stefanini et Federico Favali (Pise, Italie) nous ont proposé des réflexions encourageantes lorsqu’ils ont comparé la créativité humaine aux capacités des robots autonomes. Il y a encore beaucoup à travailler sur la relation âme-cerveau.

Un autre résultat intéressant : la vision « positive » du hasard proposée par les groupes d’Utrech (Alfred Driessen, Daan Van Schalkwijk) et de Zurich. Le hasard n’aurait rien d’aveugle, comme on le pense, mais viendrait d’une cause intelligente et libre, il serait comme le jeu que Dieu permet dans le « mécanisme » du monde afin que celui-ci ne soit pas totalement rigide et permette des mouvements des corps libres, comme les mouvements de mes doigts sur le clavier de l’ordinateur lorsque j’écris les réponses à vos questions.

On peut en quelque sorte comparer le hasard à la « terre informe » ou matière première que Dieu créa au début, d’après le récit biblique. Cette perspective est un éclairage intéressant sur la théorie de l’Évolution.

L’Évolution est, en fait, un sujet d’une grande actualité scientifique, philosophique et religieuse…

Les universitaires ont fait des exposés sur des sujets de grande actualité et d’un très haut niveau scientifique. En parlant du débat actuel sur l’évolution et le dessein intelligent Mark Fox (Sheffield), Tomory Leslie (Toronto), Jimmy Bakker (Dublin) et Andrea Manazza (Turin) ont insisté sur ce qu’il n’y a pas de conflit entre la notion de Création et la théorie scientifique de l’évolution.

Les étudiants ont présenté des exposés sur des sujets très actuels.

Par ailleurs, les économistes Ed Tredger (Londres) et Jan Everhard Renaud (Amsterdam) ont analysé l’idée de hasard et le physicien informaticien Peter Adams (Londres) a attiré l’attention sur le fait que, bien que Dieu ne se révèle pas facilement à la science, la description du monde que la science quantitative fait ne doit pas être totalisante et rester ouverte à des principes non quantifiables.

La perspective mathématique des groupes italiens (Max Berti, Rocco Tarchini) et de Zurich a été très intéressante aussi. Des théorèmes fondamentaux en mathématiques (Gödel, Turing) montrent bien, d’une part, que la pensée humaine ne peut pas être réduite à un pur processus mécanique de calcul, et que dans ce sens, elle n’est pas matérielle.

Par ailleurs, il se fait qu’aucun esprit humain ne peut contenir toute la vérité mathématique. Si, comme l’assure Kant, la mathématique est un « a priori » mental, ne découlant pas de l’expérience sensorielle, il faut conclure qu’elle a son origine dans un esprit omniscient qui dépasse la capacité humaine. Ironiquement, l’idée de mathématique qu’expose Kant dans la Critique de la raison pure semble impliquer l’existence de Dieu.

Vous avez dit que les assistants étaient des « jeunes » et des « scientifiques » : ce sont précisément les deux publics apparemment le moins intéressés par Dieu et par le spirituel.

La science s’occupe de comprendre le monde, de le décrire dans la mesure du possible et d’expliquer le rôle, toujours central, que l’homme joue dans ce contexte. Il est donc logique qu’un scientifique honnête se pose des questions à la base de la vie : Dieu, l’origine du monde, l’évolution…

Et ces scientifiques sont de plus en plus nombreux, fort heureusement. Après plusieurs siècles où les sciences se sont développées chacune de leur côté, en compartiments étanches, il semble que désormais les jeunes générations veulent trouver une unité au-delà de leurs spécialisations.

Afin de confirmer cette tendance, on n’a qu’à consulter les discussions virtuelles sur internet. La plupart concernent les blogs, très en vogue chez les jeunes scientifiques. Il suffit de taper dans google « existence de Dieu » ou « Physique quantique et liberté » pour avoir des milliers de pages sur ces questions.

Cependant, il n’y a pas que les jeunes qui sont préoccupés par ces questions métaphysiques. Des professeurs et des chercheurs sont touchés eux aussi.

Les visites de Londres ont contribué à la bonne ambiance de la Rencontre

Il y a un siècle, il était impensable d’oser critiquer le déterminisme (il suffit de noter la réaction d’Einstein : « Dieu ne joue pas aux dés ! »). En revanche, maintenant, cela semble une voie sérieuse pour montrer qu’il n’y a pas de contradiction entre science et religion.

Actuellement, il s’agit d’un débat ouvert, sans doute critiqué, mais en discussion continuelle et vivante. Il est plaisant de voir comment de grands spécialistes en physique quantique assurent que dans ce monde il y a un espace pour la liberté et pour Dieu.

Alors, ouvrir ces débats dans le domaine de la science, n’est-ce pas aller à contre-courant ?

En effet, cela peut choquer l’esprit de celui qui est habitué à considérer le monde sous un angle « déterministe ». Cependant, ce nouveau discours n’est plus rejeté. Au contraire, il est écouté avec intérêt.

Ce qui est positif c’est que le courant de pensée scientifique ne fonctionne plus que dans un sens. Le fleuve est désormais plein de remous et c’est l’humus le meilleur pour que la science progresse !

Si j’ai bien compris, vos débats se poursuivent sur un blog.

Oui, à l’adresse https://www.scienceandbeyond.net Quelle a été l’ambiance de votre congrès ?

Très encourageante. Il y a une anecdote qui reflète bien cela. À la fin de notre rencontre, le modérateur a pris la parole : « Pour finir, Dieu, joue-t-il aux dés, oui ou non ? » Oui…. Répondit le public… Et il s’amuse bien! » C’est sans doute une façon d’expliquer le ludens in orbe terrarum ( Pr. 8, 31). Les participants en ont également profité pour visiter Londres.

Et l’an prochain ?

Le Séminaire aura lieu encore à Londres, du 2 au 6 janvier 2008. Le sujet sera « Y -a-t-il dans la neuroscience une place pour l’âme ? Nos débats tourneront autour des bases neuro-physiologiques de l’identité personnelle et du libre arbitre.

Rencontre universitaire interdisciplinaire, à Londres, avec des intervenants de 9 pays différents